La réception imprimée des œuvres de Galien à la Renaissance
Galien, le "prince de la médecine"
Médecin grec du IIe siècle, Claude Galien (129-216) est considéré comme le "prince de la médecine" en raison de son œuvre monumentale et pour l’ampleur de ses connaissances. Il est, en ce sens, le digne héritier de son prédécesseur illustre, Hippocrate de Chios (ca 470-ca 410), le "père de la médecine". Son savoir fit autorité de la fin de l’Antiquité jusqu’aux débuts de l’époque moderne.
La diffusion de Galien à la Renaissance
Avec pas moins de quelque 600 éditions relevant du corpus galénique recensées au XVIe siècle, il apparaît sans contredit que le modèle médical dominant à la Renaissance reste toujours bel et bien celui de Galien et de sa théorie des humeurs. La plus ancienne édition remonte au 27 août 1490 et est sortie des presses vénitiennes de Philippus Pincius. Il s’agit de la première impression des œuvres complètes du maître de Pergame éditées par le médecin de Brescia Diomedes Bonardus et reproduites en deux volumes imposants au format in-folio. Le corpus galénique a été classé par l’éditeur selon des critères thématiques et de difficultés de lecture. Une vingtaine d’autres opera omnia voient le jour au cours du XVIe siècle (dont deux en grec), imprimées presque exclusivement à Venise. Le classement établi par Giovanni Battista Da Monte (1489-1551) pour celles parues en 1541 chez les Giunta servira de modèle pour les éditions ultérieures. Il repose sur cinq critères : thématique, difficulté de lecture, authenticité, genre littéraire et matériel.
Avec une production avoisinant les 370 impressions, la France demeure le principal centre typographique pour la diffusion des œuvres de Galien en Europe, position largement dominée par les imprimeurs parisiens suivis par leurs confrères lyonnais. L’Italie se positionne en deuxième place. Même si l’écart entre les deux pays est non négligeable, Venise peut toutefois revendiquer la troisième marche sur le podium des meilleurs centres émetteurs de textes galéniques. Un peu moins d’une centaine d’éditions vénitiennes ont jusqu’à présent été recensées. Vient ensuite la confédération suisse et, plus particulièrement, Bâle, seule ville productrice d’œuvres issues du corpus galénique. Le Saint-Empire suit de près, avec un peu moins de trente titres. La production d’autres pays (Angleterre, Danemark, Espagne, Pays-Bas et Pologne) reste marginale.
Dans cet ensemble s’observe une réelle prédominance du latin. Près des deux tiers des éditions de Galien aujourd’hui conservées sont reproduites dans cette langue. Ces œuvres - transmises au Moyen Âge par des traductions héritées de la tradition arabo-musulmane - sont progressivement redécouvertes en langue originale par des humanistes férus de culture grecque et sont érigées en modèle, considérées comme seule voie d’accès à la connaissance de la nature humaine. Plusieurs noms se sont distingués dans ce domaine. On pense notamment à des personnalités comme Niccolò Leoniceno Tomeo (1456-1531), certainement l’une des figures centrales du renouveau de Galien, Conrad Gesner (1516-1565) ou encore le réformé Leonhart Fuchs (1501-15066), père de la botanique allemande. Du côté de la France, citons également Martin Akakia (1497-1551), qui fut le médecin de François Ier (1494-1547) et professeur au Collège royal de médecine, ainsi que Guillaume Plancy (ca 1514-1568), régent de la Faculté de médecine de Paris.
Le français apparaît comme la seconde langue privilégiée dans la transmission du canon galénique. Les années 1530-1550 sont d’ailleurs marquées par une vague de traductions, dues à des grandes figures telles que Jean Canappe, Jean Masse ou encore Jean Loyne. La transmission par le biais de l’italien a, pour sa part, rencontré une résonnance appréciable, meilleure que celle en langue originale d’ailleurs. On compte 44 titres en italien contre 31 en grec. Parmi ces dernières, impossible de ne pas évoquer l’édition presque complète des œuvres de Galien parue en grec chez les héritiers d’Alde Manuce en 1525. Cette vaste entreprise éditoriale, cinq volumes au format in-folio, est le résultat du travail de l’équipe réunie autour du professeur de médecine de Pavie Giambattista Opizzoni et formée par trois Anglais, Thomas Lupset (ca 1495-1530), Edward Rose et John Clement (ca 1500-1572), ainsi qu’un Allemand Georg Agricola (1494-1555), connu pour ses travaux sur les minerais et la métallurgie. Cette version a connu un large retentissement dans la communauté médicale, car elle réintroduisait notamment des textes négligés ou oubliés depuis des siècles. La diffusion en d’autres langues reste un phénomène marginal.
Présence de Galien à l’université de Liège
Une vingtaine d’éditions du XVIe siècle, conservées à l’ULiège Library, ont fait l’objet d’une campagne de numérisation. La plus ancienne impression remontre à l’année 1518 et est sortie de l’officine parisienne d’Henri Estienne l’Ancien. Il s’agit d’une collection de trois textes de Galien, d’Hippocrate et d’Alexandre d'Aphrodisias (ca 150-ca 215), dit le « second Aristote ». La belle page de titre encadrée, figurant des motifs floraux et deux lettrés avec les titres inscrits dans un médaillon, est typique des productions de l’imprimeur parisien. L’université de Liège possède également deux traductions en editio princeps : la première du De usu partium par Niccolò da Reggio (1280-1350), issu de la célèbre école de médecine de Salerne, et sortie de presse en 1528 à Paris chez Simon de Colines, ainsi qu’une autre du De curandi ratione per venae sectionem transposé en latin par Leonhart Fuchs et imprimée en 1546 à Lyon chez les frères Frellon.
Le corpus galénique présent à Liège comprend aussi la troisième édition des Opera omnia de Galien imprimée par les Giunta à Venise en 1556, le De bono et malo succo paru à Paris chez Christian Wechel en juillet 1546, des œuvres de pharmacologie, comme De simplicium medicamentorum facultatibus (Paris, 1547) et le De compositione pharmacorum localium (Lyon, 1549), ainsi que plusieurs éditions des Aphorismes d’Hippocrate commentés par Galien (Paris, 1526 ; Paris, 1545 ; Lyon, 1552). Il importe également de mentionner ce commentaire au Techne de Galien par Jérémie Thriveris (1504-1554), professeur réputé à la faculté de médecine de Louvain, dans une version publiée à Lyon en 1547 chez Godefroy Beringen et Marcellin Beringen. Bien que diversifié dans la nature des textes, cet ensemble galénique comprend en large majorité des œuvres parues au cours des décennies 1540-1550 et reproduites par des officines parisiennes et lyonnaises, exclusivement en latin, dans des traductions effectuées par des humanistes contemporains.
Les amateurs de livres anciens retiendront également cet exemplaire de l’Ars medica, traduit par Martin Akakia (Lyon, 1548), dont la reliure contemporaine en veau fauve arbore un supralibros au nom de V. Durant et deux cadres en filets à froid avec des ornements floraux dorés au centre et dans les coins. Il en est de même pour cet autre exemplaire des Aphorismes d’Hippocrate commentés par Galien (Lyon, 1552) qui comporte une mise en garde rimée à toute personne malintentionnée : "Qui me trouveura, si me rende // Au soubz signé, car je suis sien // Raison le veult, dieu le commande // Au bien d’autruy, nous n’avons rien" (fol. [BB8v]). Cet ouvrage présente en outre une très élégante page de titre architecturale d’inspiration renaissance où foisonnent des putti s’accrochant aux colonnades.
Si André Vésale (1514-1564) entame son travail de sape du savoir galénique avec son célèbre De fabrica humana (Bâle, 1543), l’autorité du maître de Pergame se maintient encore pour de nombreuses années dans nos régions, comme en témoigne notamment cet autre exemplaire des Aphorismes d’Hippocrate relus par Galien (Lyon, 1552) sur lequel figure, à la page de titre, une marque d’appartenance de l’abbaye Saint-Michel d’Anvers datant du XVIIe siècle.
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* Pour en savoir plus :
- ADAM, R., "La circulation du livre médical dans les anciens Pays-Bas au second tiers du XVIe siècle", Histoire des Sciences Médicales, 51 (2017), p. 47-59.
- BOUDON-MILLOT, V., COBOLET G. (éds), Lire les médecins grecs à la Renaissance. Aux origines de l’édition médicale, Paris, De Boccard, 2004.
- DURLING, R. J., "A Chronological Census of Renaissance Editions and Translations of Galen", Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, 24 (1961), p. 230-305.
- VERBANCK-PIERARD, A. (éd.), Au temps de Galien. Un médecin grec dans l’empire romain, Paris, Somogy, 2018.
* Auteur du blog : Renaud ADAM (ULiège Library)
* Citer ce blog : Renaud ADAM, "La réception imprimée des œuvres de Galien à la Renaissance", Blog de DONum (https://donum.uliege.be/news?id=58) (ISSN 3041-4547) (septembre 2024).