Feedback

Informations

L'Ombre du chancelier de l'hospital au Roy representant toutes les affaires d'Estat de la France.

Auteur(s), créateur(s), collaborateur(s) :
Type d'objet représenté : Livre, monographie

Détails
Editeur: [France] M.DC.XXII.
Lieu de création de l'objet original: France
Première publication ou diffusion de l'objet original: 1622
17e siècle
Temps Modernes (1492-1789)
Lieu de conservation de l'objet original: Réseau des Bibliothèques
Identifiant(s): XXII.87.8(S)(Facéties 2) [16°] (cote ULiège)
700602048 (code-barres ULiège)
Langue de l'objet original: Français
Résumé: L'exemplaire à la cote XXII.87.8(S)(Facéties 2) [16°] de la bibliothèque ALPHA-Site central est relié avec "Le Geant francois au Roy"
Matériau, support de l'objet original: Papier
Dimensions, durée ou poids: 16 cm
Description physique de l'objet représenté: 31 pages, 1 page blanche. 8°
Description: Empreinte: l.es itrs mers obQu (3) 1622 (R)
Signatures : A-D⁴
Mots-clés: Brochures
Ressource(s) liée(s) à l'objet original: Le Geant francois au Roy
Universal Short Title Catalogue - 6026719 (https://www.ustc.ac.uk/editions/6026719)
Fait partie du: Domaine public
URL permanente: https://hdl.handle.net/2268.1/7942

pdf.png
XXII_87_8_S_Faceties2_013.pdf
Description:
Taille: 19.78 MB
Format: Adobe PDF
Type d'accès: Accès ouvert
Présentation scientifique

L’Ombre du chancelier de L’Hospital est un imprimé de 31 pages publié en 1622 au format in-octavo, sans mention de lieu ni d’imprimeur (USTC 6026719 ). Si l’on en croit l’Universal Short Title Catalogue, le texte conservé dans les collections patrimoniales de la bibliothèque Alpha de l’Université de Liège est un des deux seuls exemplaires répertoriés pour cette édition (l’autre appartenant à la Bibliothèque nationale de France ).

L’exemplaire liégeois de l’imprimé fait partie du Recueil sur la Ligue, Facéties 2, un des 80 volumes de miscellanées factices conservés à l’Université de Liège qui réunissent environ 1595 pièces dites « ligueuses ». Il faut toutefois entendre cette épithète dans un sens très large : de courts imprimés presque systématiquement polémiques, tous produits en France entre le milieu du XVIe siècle et le milieu du XVIIe, répartis selon des critères thématiques (le clergé, la guerre, etc.) ou formels (oraison funèbre, poésie, lettre, etc.). Ces pièces ont été reliées, numérotées et parfois retranchées au XVIIIe ou au XIXe siècle, probablement avant leur acquisition par l’Université. Les circonstances de l’arrivée de ces textes dans les collections patrimoniales, encore très floues, mériteraient assurément une enquête approfondie.

L’Ombre du chancelier de L’Hospital se caractérise avant tout par une histoire éditoriale hors du commun. Si l’imprimé est réédité l’année suivant sa première parution, toujours sans mention de lieu ni d’imprimeur (USTC 6032398 ), il est en réalité l’un des maillons d’une longue série de remplois d’un même texte, probablement écrit par Michel de L’Hospital lui-même. L’on trouve en effet dans les Œuvres complètes de Michel de L’Hospital  (Paris, Boulland, 1824) l’édition d’un manuscrit dont le texte est identique à celui imprimé en 1622, présenté comme de la main du chancelier et intitulé Le but de la guerre et de la paix, ou Discours du chancelier de L’Hospital pour exhorter Charles IX à donner la paix à ses subjects. L’éditeur date ce manuscrit de 1570, ce qui est une erreur car, en 1568, le texte – légèrement différent – a déjà été imprimé à trois reprises (une en France et deux à Anvers ), anonymement et sous le titre Discours sur la pacification des troubles de l’an 1567 (USTC 54321 , 14101  et 61117 ). Ce texte a également été imprimé, sans lieu ni nom d’imprimeur, sous le titre Advis au Roy (un exemplaire est conservé dans les collections patrimoniales de l’Université de Liège). Cette édition n’est pas datée, mais sa facture indique qu’elle est antérieure à 1650. D’autres rééditions existent sans doute : la grande diversité de titres sous lesquels ce texte fut publié ne permet pas d’en établir une liste exhaustive. Ces données sont toutefois suffisantes pour attester la longévité du rôle d’autorité joué par la figure de Michel de L’Hospital, chancelier de France de 1560 à 1573 et principal conseiller de la reine Catherine de Médicis, régente du royaume puis membre du conseil du roi Charles IX son fils (CROUZET 1998).

L’imprimé dont il est ici question est produit en 1622, année durant laquelle la France traverse un épisode connu sous le nom de « Rébellions huguenotes » ou « guerres de Rohan ». De 1621 à 1629, une série de conflits civils déchirent le royaume : les protestants se rebellent plusieurs fois contre l’autorité royale qui, en retour, cherche à imposer une unité politique sur tout le territoire ainsi que, à certains égards, une unité religieuse. C’est ainsi que Louis XIII, conseillé par Richelieu à partir de 1625, part en campagnes dans de nombreuses régions de France, notamment en Béarn, en Guyenne et à La Rochelle (PETITFILS 2008).

Comme durant les guerres de Religion du XVIe siècle, les combats armés se dédoublent d’une guerre des plumes : une intense activité polémique s’observe dans toute la France des années 1620. Les différents camps en présence tirent profit de l’imprimerie pour diffuser des idées, commenter des événements, diffamer des adversaires, recruter de nouveaux adhérents… À l’instar de celles produites au siècle précédent, les pièces polémiques des guerres de Rohan se caractérisent par une très grande variété de situations d’élocutions : l’antagonisme toujours croissant stimule une créativité sans cesse renouvelée et conduit auteurs et imprimeurs à s’approprier ou à créer des dispositifs textuels très variés afin de défendre leur cause (DUCCINI 2003).

L’un de ces dispositifs semble intrinsèquement lié aux guerres de Rohan : la polémique, et singulièrement la polémique catholique, y recourt peu (ou pas) avant et après ce conflit. Il s’agit de la convocation d’« ombres », à comprendre au sens de fantômes, c’est-à-dire de personnages historiques décédés revenant d’entre les morts afin de donner des leçons aux vivants. Une vingtaine de sources polémiques produites en France entre 1620 et 1629 exploitent ce motif argumentatif, dont les ressorts et les fonctions n’ont pas encore fait l’objet d’une étude systématique (quelques débuts de réflexion peuvent être lus dans CALLARD 2019). Dans le contexte de la lutte entre réformes catholique et protestante, chaque camp se livre à une bataille rangée de spectres, qui quittent la sphère de la dévotion populaire (dans laquelle ils sont présents depuis le Moyen Âge) pour gagner la polémique grâce à l’imprimerie. Le fantôme, doté d’une « capacité de révélation d’une vérité scellée aux vivants » (CALLARD 2019:239), est d’emblée lié au pouvoir. Dans une France en proie à l’angoisse eschatologique, les spectres, auteurs de nombreuses prophéties, sont davantage une figure de l’avenir que du passé : énonçant « l’urgence de ce qui doit être fait » (CALLARD 2019:241), ils participent à la prise de décision politique et religieuse (les deux domaines étant intrinsèquement liés au sein du motif de l’« ombre »).

Or L’Ombre du chancelier de L’Hospital n’utilise ce dispositif discursif de l’« ombre » que dans son titre. En effet, l’imprimé est constitué de réflexions politiques in abstracto, sans mise en scène du retour du chancelier parmi les vivants ni rédaction à la première personne du singulier. Il est probable que les concepteurs de cette édition aient récupéré un procédé discursif en vogue – L’Ombre du chancelier de L’Hospital constituerait alors l’indice de la popularité du genre dès 1622 – mais en se limitant à la composition d’un titre inédit, se contentant, pour tout le reste, de reproduire un écrit de la main du chancelier.

Le texte est donc recopié tel quel plus de cinquante ans après sa rédaction, et il est troublant de constater qu’il n’a nécessité aucune adaptation pour conserver sa pleine pertinence dans un contexte si différent de celui qui l’a vu naître. Loin de dissimuler cette réactualisation, les concepteurs de l’imprimé, par le choix du titre, explicitent la validité de la pensée de L’Hospital durant le début du règne de Louis XIII : malgré la prescription d’« amnésie et amnistie » de l’Édit de Nantes (1598), le souvenir des guerres de Religion demeure encore vif au XVIIe siècle, et imprègne profondément les réflexions politiques durant les guerres de Rohan (BERCHTOLD et FRAGONARD 2007-2009, COTTRET 2016).

La pertinence du texte est établie par la similitude entre les guerres de Religion et les guerres de Rohan sur un point précis : la question de la légitimité de la guerre, et notamment de la guerre civile. L’imprimé conservé dans les collections liégeoises commence en effet par la phrase « Le but de la guerre c’est la paix », tandis que sa version manuscrite est intitulée Le but de la guerre et de la paix. Le texte est un pur plaidoyer en faveur de la paix et, corollairement, un réquisitoire à l’encontre de la guerre. Les protestants ne doivent pas être combattus, mais aidés sur la voie menant vers le salut : « quelle felonnie & meschanceté seroit-ce, en lieu de les secourir & d’en avoir compassion, de les violenter & persecuter à feu & à sang ? » (p. 17) Les arguments en faveur de ce postulat sont nombreux au sein de L’Ombre du chancelier de L’Hospital mais, schématiquement, on peut indiquer que, d’après ce texte, la paix doit toujours être préférée à la guerre car la paix est de Dieu et « les dissentions sont les maladies des grands Estats » (p. 23). À l’inverse, la guerre doit être rejetée puisqu’elle se base sur la haine, qu’est source de discorde, que ceux qui la défendent cachent leurs véritables objectifs et que tuer tous les ennemis est une gageure. La guerre est comparable à une maladie qui se répand dans tout le corps et le laisse exsangue quand elle finit par le quitter. Le bellicisme des partisans du conflit est le véritable responsable des désordres qu’ils dénoncent aujourd’hui : « ils ont si asprement soufflé que la flamme est preste à les consumer » (p. 26). L’Ombre du chancelier de L’Hospital dénonce la désunion du camp dont elle se réclame (sans préciser lequel), et brandit l’organisation et l’obéissance du camp adverse (de même) à leurs dirigeants : il s’agit donc d’un appel à l’unité autour de la paix, idéal commun.

À travers le déploiement de cet argumentaire, on comprend que L’Ombre du chancelier de L’Hospital, tant dans son contexte initial que durant les guerres de Rohan, est conçue comme une réponse à un discours défendant le droit de faire la guerre sous certaines conditions. Il réfute par exemple (p. 3) l’emploi du terme « capitulation » pour désigner la paix : c’est le lexique de publications bellicistes qui est ici critiqué. Sur la même page, il est dit que le fait que la paix est plus difficile que la guerre ne doit pas conduire les hommes à privilégier cette dernière : c’est une accusation indirecte contre les textes bellicistes, relégués au rang de défenseurs du choix de la facilité. À la page 16, le texte utilise une métaphore organique et affirme que « le medecin seroit meurtrier si, laissant les remedes propres, il usoit des extremes […] ; comme qui enterreroit vif son enfant malade sans essayer les moyens de le guerir » : c’est l’extrémité qui est dénoncée comme ennemi du bien. Il est donc probable que ce texte soit une attaque contre les zélés, sans doute catholiques, qui plaident pour une guerre légitime contre les protestants et qui font de la guerre civile une croisade juste, nécessaire et bénie par Dieu. Le texte, traversé par une tempérance et une modération typiques du néostoïcisme de L’Hospital, fustige les individus « plain[s] de hayne, vengeance & fureur » (p. 20), « empoisonnés de passion qui agitent tout » (p. 17) et recommande au roi d’agir non en tant que « bouttefeu envenimé » (p. 24) mais comme un bon père ne favorisant aucun de ses deux enfants (catholique et protestant), ayant à cœur de « bien ranger & moderer » (p. 19) celui qui chercherait à nuire à l’autre : il faut châtier fermement les fauteurs de désordre, sans pour autant persécuter aveuglément tous les membres d’une confession. Les partisans d’une guerre sainte sont nombreux au XVIe siècle, mais ont été vaincus militairement, puis soumis ou exilés par Henri IV à la fin des années 1590. La réactualisation du plaidoyer modéré et pacifiste de L’Hospital en 1622 indiquerait dès lors que les guerres de Rohan, par leur similitude avec les guerres de Religion du siècle précédent, ont ravivé une pensée zélée latente. En 1568 comme en 1622, L’Ombre du chancelier de L’Hospital s’inscrit donc avant tout dans une querelle à propos des notions de paix juste et de guerre juste (CAHN, KNOPPER et SAINT GILLE 2019).

En conclusion, L’Ombre du chancelier de L’Hospital est un texte destiné à plaider la cause de la paix dans un contexte où la lutte interconfessionnelle armée fait rage. Remploi pur et simple d’un texte composé plus de cinquante ans plus tôt, son originalité réside dans l’exploitation d’un argumentaire ancien conservant toute sa validité dans le contexte de sa réimpression. La seule action créatrice de cette source – son titre – suffit à en modifier la portée et, partant, l’efficacité : la parole n’est pas subjective et ne s’inscrit pas non plus dans un contexte spécifique, mais il est posé d’emblée que c’est le chancelier de L’Hospital qui s’exprime. La figure du fantôme capitalise une ou plusieurs notions – en l’occurrence, la modération et la recherche de la paix – qu’elle personnifie et, à travers son apparition, matérialise : elle rend accessible au plus grand nombre un débat sur des sujets parfois complexes. Ce motif allie donc créativité discursive et pédagogie, même si les intentions polémiques de l’opération ne peuvent être oubliées. L’Ombre du chancelier de L’Hospital est un bel exemple de récupération d’un dispositif discursif, mais aussi d’éléments anciens de pensée politique : le débat sur la paix et la légitimité de la guerre qu’il évoque date de plusieurs siècles. Le jeu sur les pouvoirs de l’« ombre » est minimal mais efficace, car il pose un cadre clair invitant le lecteur à tirer des leçons du passé. Il confère aussi de la légitimité au texte : le prestigieux chancelier de L’Hospital lui sert de prête-nom. Dans un contexte où les prescriptions de l’édit de Nantes rendent tout discours sur les guerres de Religion du XVIe siècle malaisé, des pièces polémiques comme L’Ombre du chancelier de L’Hospital sont les maillons d’une « opération de refoulement du passé proche » (CALLARD 2019:123). Le passé est pourvoyeur de leçons, en l’occurrence à propos des dangers de la guerre civile. La polémique exploitant ce motif discursif rend le passé présent, presque visuel, dans un contexte où il est officiellement banni de l’espace public.


Transitions

Alexandre Goderniaux
Boursier FRESH

Cette présentation a été réalisée dans le cadre de la collection "Arm@rium Universitatis Leodiensis. La bibliothèque virtuelle du Moyen Âge et de la première Modernité de l’Université de Liège", développée par l'Unité de Recherche Transitions .


Citer cette présentation :
Goderniaux, A., « L’Ombre du chancelier de L’Hospital au Roy representant toutes les affaires d’Estat de la France, s.l., s.n., 1622, in-8° (Université de Liège, Bibliothèque, XXII.87.8(S), pièce n° 13) », in Arm@rium Universitatis Leodiensis. La bibliothèque virtuelle du Moyen Âge et de la première Modernité de l’Université de Liège, juin 2021. http://hdl.handle.net/2268.1/7942
Bibliographie :

Les reproductions numériques disponibles sur DONum sont en faible résolution, facilitant le téléchargement. Des fichiers de haute qualité peuvent être obtenus sur conditions, via notre formulaire de contact.
Les documents disponibles sur DONum peuvent être protégés par le droit d'auteur. Ils sont soumis aux règles habituelles de bon usage.