Scientific presentation

Pour réprimer l’épisode iconoclaste de l’été 1566, connu sous le nom de "Furie iconoclaste" (Beeldenstorm), Philippe II ordonna l’envoi d’un contingent militaire composé de 10.000 hommes, placés sous la direction de Fernando Alvarez de Tolède, duc d’Albe. Arrivé à Bruxelles fin août 1567, l’homme de guerre remplaça Marguerite de Parme à la tête du gouvernement des Pays-Bas et mit en place, le 5 septembre, un tribunal d’exception connu sous le nom de Conseil des troubles. La répression fut terrible. Le millier de victimes et la prononciation de plus de 11.000 condamnations au bannissement valurent à ce tribunal le surnom de "Tribunal du sang". Les comtes d’Egmont et de Hornes, symboles de l’opposition politique, sont assurément les victimes les plus célèbres. Ils furent décapités sur la Grand-Place de Bruxelles le 5 juin 1568, alors qu’ils n’avaient pourtant pas embrassé le parti réformé.

Le Conseil des troubles, actif de 1567 à 1576, surveilla de très près la fabrication, la vente et la possession de livres. L’une des mesures les plus célèbres prises à la demande du duc d’Albe fut la réalisation et la publication de trois index de livres interdits. La tâche fut confiée à Christophe Plantin. Le premier fut imprimé en mai 1569. Le premier tirage du deuxième parut au début de l’année suivante, en février 1570, d’autres suivirent dans la foulée. Le troisième index sortit de presse au cours du mois de juillet 1571. La publication des deux premiers index contribua à assoir l’autorité morale de Plantin auprès des autorités espagnoles qui lui conférèrent le titre prestigieux d’architypographe le 10 juin 1570, faisant de lui le primus inter pares de sa profession avec mission de conférer des certificats d’aptitude à ses collègues. Ces index reproduisent et complètent celui promulgué par le Concile de Trente en 1564. La mise au point de ces listes de livres prohibés repose sur l’une des dix règles qui fixaient l’application de l’Index romain, permettant aux inquisiteurs et aux évêques locaux de le compléter comme ils le souhaitaient. Pour cette raison, le duc d’Albe confia à Benito Arias Montano la responsabilité d’un catalogue de livres interdits spécifique aux anciens Pays-Bas. L’orientaliste espagnol était présent dans ce territoire pour accompagner Plantin dans l’impression de la fameuse Biblia sacra ou Bible polyglotte.

L’Index anversois de 1571, tiré à 750 exemplaires avec un financement de Philippe II, est un peu plus particulier puisqu’il s’agit d’un index expurgatoire, reprenant la liste des passages à supprimer dans des œuvres partiellement condamnées. Il fut compilé par une commission formée d’une centaine de théologiens des universités de Louvain et de Douai et placée sous la direction de Montanus. Seuls les censeurs (visitateurs) désignés par les évêques en reçurent un exemplaire ; toute copie fut interdite sans autorisation préalable du gouvernement. Dans les villes où exerçaient plusieurs libraires et afin d’accélérer le processus d’expurgation, les prélats furent autorisés à solliciter un ou deux d’entre eux pour les assister dans leur mission – avec obligation de ne communiquer l’Index sous aucun prétexte ; on imagine mal mettre dans les mains du public une liste des passages jugés subversifs. Érasme est le seul auteur à avoir fait l’objet d’un traitement particulier, sous la forme d’un long appendice, qui repose en grande partie sur la censure effectuée par le théologien de Louvain Jean Henten quelques années plus tôt, en 1552. Le mandement royal joint à l’Index ordonnait dès lors que quiconque possédant des ouvrages prohibés (en tout ou en partie) était tenu de les remettre à un examinateur qui, après expurgation et après avoir apposé sa signature, devait les restituer à leur propriétaire. Les autres, totalement condamnés, devaient être brûlés dans les trois mois.

Renaud Adam
Attaché