Présentation scientifique

L’avènement du protestantisme en Europe au début du XVIe siècle est perçu dans de nombreux royaumes et principautés catholiques comme un élément hautement perturbateur de l’ordre public. Aussi les autorités n’hésitent-elles pas à réprimer sévèrement les positions hétérodoxes : leurs auteurs sont étranglés, brûlés, suppliciés pour avoir soutenu des propos jugés hérétiques. Leurs co-religionnaires les érigent en martyrs et célébrent ces hommes et ces femmes qui ont préféré mourir plutôt que de renier leur foi, tandis que paraissent les récits de leur mort dans des ouvrages appelés « martyrologes ».

De son côté, dans une logique de concurrence et de surenchère, l’Eglise catholique lance une campagne destinée à montrer que les martyrs se trouvent en réalité dans ses propres rangs : elle répond aux martyrologes protestants en publiant ses propres martyrologes… Le Théâtre des cruautés s’inscrit dans cette politique catholique. Son auteur, Richard (Rowlands) Verstegan, est un catholique anglais : lorsque la reine Elisabeth Ière, chef de l’Eglise anglicane, fait exécuter le jésuite Edmund Campion dont elle avait strictement interdit la mission d’évangélisation, Verstegan loue la mort de celui-ci comme celle d’un martyr et est forcé à l’exil. Il s’installe d’abord en France, où il publie cinq gravures commentées sous le titre de Brève description des diverses cruautés que les catholiques endurent en Angleterre pour la foi (1583-1584). Il quitte ensuite la France pour Anvers : c’est là qu’il reprend l’ouvrage précédent pour l’amplifier largement sous le titre de Theatrum crudelitatum haereticorum nostri temporis (1587). Il y relate en latin – pour s’assurer une audience internationale – les supplices infligés par les protestants aux catholiques dans une Europe marquée par les guerres de religion, en particulier en Angleterre, en Ecosse, en France et dans les Pays-Bas. Son ouvrage connaît un incroyable succès, ce dont témoignent autant les nombreuses rééditions que la traduction en français qui paraît dès l’année suivante. Ce succès est dû, en grande partie, à la présence de nombreuses gravures où les supplices des catholiques sont mis en scène dans leur plus parfaite horreur, ce que confirment et renforcent les textes extrêmement explicites qui les accompagnent. Image et récit accumulent les détails les plus sordides et les plus choquants pour faire apparaître les protestants comme des êtres cruels et effroyables, qu’il est grand temps de mettre au pas. Théodore de Bry reprendra le procédé lorsqu’il fera paraître son édition illustrée de la Très brève relation des Indes de Bartholomé de Las Casas pour dénoncer, cette fois, la cruauté catholique.

L’exemplaire conservé à l’ULiège, dont les gravures ont la particularité d’être peintes, a été offert au début du XVIIe siècle par un certain « frère Albert » au Seigneur de Tronchiennes (Drongen) « en gage perpétuel de leur inviolable amitié ».

Annick Delfosse
Professeure ordinaire

Cette présentation a été réalisée dans le cadre du catalogue de l'exposition Empreintes. Patrimoine écrit, témoin de l’Histoire qui s'est déroulée à la Cité Miroir (Liège), du 21 avril au 20 juillet 2018.