Présentation scientifique

Parmi les nombreuses curiosités et autres raretés que les collections patrimoniales de l’université de Liège possèdent figure cet intrigant recueil, au format in-quarto oblong, formé de neuf feuillets reprenant des spécimens d’alphabets, parfois accompagnés de textes. Un examen minutieux a permis d’en identifier plusieurs.

Le volume s’ouvre ainsi sur quatre folios provenant d’un abécédaire publié par Christophe Plantin (ca 1520-1589) au début de l’année 1568. Le premier feuillet contient deux alphabets grecs, en majuscule et en minuscule, ainsi qu’un autre en hébreu. Le reste de la page est occupé par un extrait des deux privilèges octroyés les 2 et 3 décembre 1567 par le Conseil privé et le Conseil de Brabant pour protéger cette publication contre toute contrefaçon. Ce texte est reproduit en caractères de civilité. Deux autres folios comportent des passages du De oratore de Cicéron (lib. I, 30.134 ; lib. III. 15.56) accompagnés d’une explication et suivi de deux alphabets latins, majuscule et minuscule, en romain pour le premier et en italique pour le second. Un quatrième folio comporte un alphabet reproduit à l’aide des « grosses capitales romaines » de Plantin, mises au point par Claude Garamont (ca 1515-1561) et complétées par Jacques Sabon (ca 1520-1580) ; alphabet auquel il manque les lettres j, u et z. En cette fin de décennie 1560, l’imprimeur s’était associé au maître d’école Peeter Heyns (1537-1598) pour reproduire trois abécédaires, l’un en français, l’autre en néerlandais, et un troisième sans texte pour faciliter les exercices d’écriture. Les fragments en possession de l’université proviennent de cette dernière édition, pour laquelle aucun exemplaire complet ne nous est parvenu. L’édition en français est connue en deux exemplaires – dont un incomplet – conservés à la Zentralbibliothek de Zurich et à la Bibliothèque universitaire Moretus Plantin de Namur. Il en est de même pour la version en flamand, dont le Musée Plantin Moretus à Anvers et l’Universiteitsbibliotheek de Leyde possèdent tous deux un exemplaire complet.

Le recueil de l’université de Liège contient à la suite trois autres feuillets, imprimés au recto et au verso, provenant d’une édition, non identifiée, du célèbre traité d’écriture de Vespasiano Amphiareo (1501-1563), maître d'écriture à Venise durant trente ans. Cet ouvrage, connu sous le nom d’Opera nella quale si insegna a scrivere varie sorti di lettere, parut pour la première fois dans la cité des doges en 1548. L’ouvrage rencontra un large succès avec une quinzaine de réimpressions au XVIe siècle. Les différentes éditions de ce livret contiennent idéalement 85 modèles d'alphabets de lettres bâtardes, caractères gothiques, monogrammes, écritures fantaisiste ou géométrique, etc., gravés sur bois. Les fragments liégeois contiennent des alphabets gothique et fantaisiste d’inspiration végétale ainsi que des monogrammes.

La provenance des deux dernières feuilles, de plus petite taille, n’a pas pu être établie. La première reproduit un alphabet majuscule en caractères de civilité avec un ornement typographique. Sur la seconde sont imprimées deux suites d’alphabet majuscule, l’une en caractères de civilité, l’autre en romain.

Il n’est pas surprenant de rencontrer de tel recueil composite formé de pièces provenant de différents abécédaires. Les taux de survie du genre des livres d’écoles sont très faibles en raison de leur caractère éphémère. Certains d’entre eux nous sont parvenus en entier, quand d’autres sont connus uniquement de manières fragmentaires. Il arrive parfois que l’ensemble d’un tirage ait complètement disparu.

Renaud Adam
Attaché