Christophe Plantin, imprimeur de la Renaissance
Christophe Plantin compte parmi les imprimeurs les plus éminents des anciens Pays-Bas. Après l’ouverture de son atelier typographique en 1555, il parvint à s’imposer comme un acteur central de l’économie européenne du livre au XVIᵉ siècle. Cette réussite fit de la firme Au Compas d’Or l’un des principaux foyers intellectuels et culturels de la Renaissance, contribuant de manière significative à la diffusion des savoirs humanistes. Ses héritiers maintinrent l’activité jusqu’en 1876, année où l’entreprise fut cédée à la Ville d’Anvers, laquelle la transforma en musée, encore accessible au public aujourd’hui.
De Tours à Anvers : itinéraire d’un homme qui allait révolutionner le livre
Christophe Plantin vit le jour vers 1520 à Saint-Avertin, dans les faubourgs de la ville de Tours. À la mort de sa mère, il suivit son père, domestique, et parcourut la France. Devenu orphelin, il tenta sa chance dans les métiers du livre et s’établit à Caen où il fit son apprentissage. Il y rencontra sa future épouse, Jeanne Rivière. Après un bref séjour à Paris, il se fixa définitivement à Anvers en 1550 et s’investit, dans un premier temps, dans des travaux de reliure et de maroquinerie. Selon la légende familiale, il aurait mis un terme à ces activités après avoir été gravement blessé par des bandits alors qu’il se rendait en soirée chez le secrétaire de Philippe II, Gabriel de Zayas, pour lui apporter une commande. Quoiqu’il en soit, Christophe Plantin obtint un privilège du Conseil de Brabant l’autorisant à s’établir comme imprimeur en 1555. Son premier livre parut la même année, un manuel en français et en italien sur l’instruction des jeunes filles rédigé par l’humaniste vénitien Giovanni Michele Bruto.
Quand la religion et la politique s’invitent dans l’atelier : une imprimerie en temps de crise
L’année 1562 fut terrible pour Plantin, son entreprise vacilla. Un pamphlet calviniste fut découvert dans son officine alors qu’il était en France. Ses employés furent accusés et condamnés à la galère. Selon la loi, Plantin fut tenu pour responsable. Il resta à l’abri à Paris et ne revint à Anvers qu’en septembre 1563, soit dix-mois après les faits. Entretemps, tous ses biens avaient été vendus au cours d’une vente aux enchères publique. Des amis, proches d’une secte calviniste, lui vinrent en aide et lui permirent de se relancer. Son entreprise prit alors son envol pour devenir, au cours des années 1571-1576, l’une des plus grandes imprimeries d’Europe. C’est alors qu’il transféra son officine au Vrijdagmarkt, où se situe encore aujourd’hui le Musée Plantin Moretus. Au faîte de sa gloire, Plantin employa plus de 70 personnes et posséda jusqu’à 16 presses. La « Furie espagnole » de 1576, marquée par trois jours d’exactions des troupes espagnoles, puis l’établissement d’un régime calviniste à Anvers, réduisirent considérablement ses activités. Plantin ouvrit alors une succursale à Leyde et s’y établit temporairement en 1583 avant de revenir à Anvers en 1585 après la reconquête de la ville par les troupes d’Alexandre Farnèse. Il s’éteignit quelques années plus tard, le 1er juillet 1589, après une vie de dur labeur.
Son officine fut ensuite divisée entre ses deux beaux-fils. Son seul fils, Christophe, était mort en bas âge. Jan Moretus prit alors en main la destinée de l’officine anversoise et Franciscus Raphelengius, celle de Leyde.
Des chefs-d’œuvre et des monopoles : l’empire typographique de Plantin
Fidèle à sa devise Labore et Constantia (« Par le travail et la persévérance »), Christophe Plantin proposa une production de qualité supérieure et fut l’un des premiers à généraliser l’emploi de gravures sur cuivre pour l’ornementation des livres. Son catalogue se compose de plus de 2450 titres, soit une moyenne de 70 ouvrages par an. Ses impressions circulèrent tant en Europe qu’au-delà. Il doit également son succès à la qualité de son entourage qui se composait alors des esprits les plus brillants de l’époque, tels que Juste Lipse, Abraham Ortelius, Gérard Mercator ou encore le botaniste Robert Dodoens. En cette période de troubles religieux, Plantin réussit à louvoyer entre ses différentes allégeances, devenant tour à tour imprimeur de la couronne espagnole, des États généraux ou encore de la république calviniste d’Anvers.
Sa proximité avec les autorités habsbourgeoises aura toutefois permis à Plantin de réaliser l’un de ses plus beaux chefs-d’œuvre : la Biblia polyglotta pour laquelle Philippe II dépêcha auprès de lui son chapelain Benito Arias Montano et qui fut imprimée en cinq langues sur huit volumes in-folio (1568-1572). Ce monument d’érudition contribua à hisser Christophe Plantin parmi les plus grands typographes de la Renaissance. L’imprimeur bénéficia aussi de la conclusion des travaux du concile de Trente et de la réforme liturgique qui en résulta. Grâce à ses liens étroits avec la couronne espagnole, il obtint plusieurs monopoles précieux sur la production et la diffusion d’ouvrages liturgiques en Espagne ainsi que dans les territoires coloniaux. Il commença à exporter massivement des bréviaires, des missels et autres livres d’Heures. Signe du crédit de Plantin auprès des autorités espagnoles, il reçut la charge d’imprimer trois index de livres interdits (1569, 1570 et 1571). Il reçut également le titre de prototypographe du Roi, chargé d’évaluer les compétences professionnelles des membres de la communauté typographique des anciens Pays-Bas, qu’il s’agisse de maîtres imprimeurs souhaitant obtenir ce titre, de compagnons ou d’apprentis.
![]() |
![]() |
![]() |
Christophe Plantin à l’Université de Liège
L’Université de Liège conserve plus de 150 titres imprimés par Plantin. Le plus ancien est la traduction française d’une collection de recettes de santé connue sous le titre des Secrets du Reverend Signeur Alexis Piemontois (1557) ; le plus récent, la première édition de méditations sur l’hymne Ave Maris Stella composées par le père jésuite Franciscus Coster (1589). Parmi les autres publications notables, il convient de citer des écrits de Juste Lipse, de Mathias de Lobel, du mathématicien Simon Stévin ou encore de nombreuses éditions d’auteurs classiques (Horace, Valère Maxime, Jules César…). Signalons également la présence de plusieurs éditions, en français et en italien, de la Description des Pays-Bas de Lodovico Guicciardini, véritable guide pour découvrir les Pays-Bas de la seconde moitié du XVIe siècle. Parmi les autres curiosités sorties des presses de l’Officina Plantinia, figurent plusieurs fragments d’un abécédaire destiné aux enfants désireux d’apprendre à écrire, l’ABC ou exemples propres pour apprendre les enfans a escrire (1568).
Une dizaine d’ouvrages de ce corpus a transité par les collections de l’ancien collègue des jésuites de Liège, dont le fameux Index expurgatorius librorum de 1571. Un autre exemplaire de la Descrittione di tutti i Paesi Bassi fut acquis par le comte Johann Caspar de Cobenzl lors de son passage à Anvers en 1686. Son fils Charles, appelé lui aussi aux plus hautes charges de l’Empire, termina sa carrière comme ministre plénipotentiaire des Pays-Bas. L’arrivée de ce volume à l’Université de Liège est hélas mal documentée. Signalons, enfin, qu’une vingtaine de volumes devinrent la propriété de l’institution grâce à la libéralité du baron de Wittert à sa mort en 1903, dont une série de 48 gravures réalisée par Philips Galle illustrant les vertus et actions vertueuses du roi David, avec des légendes gravées et des poèmes latins de Benito Arias Montano, publiées en 1575.
Découvrir l’ensemble des impressions de Christophe Plantin disponibles en Open Access sur le site de DONm.
La liste de l’ensemble des impressions de Christophe Plantin conservées à l’Université de Liège est accessible sur le site d’ULiège Library.
Pour en savoir plus :
- Theodor Dunkelgrün, The Multiplicity of Scripture: The Making of the Antwerp Polyglot Bible, Toronto, Pontifical Institute of Mediaeval Studies, 2025.
- Joran Proot, Yann Sordet & Christophe Vellet (éd.), A Century of Typographical Excellence: Christophe Plantin & the Officina Plantiniana (1555-1655). Un siècle d’excellence typographique : Christophe Plantin et son officine (1555-1655), Paris, Édition des Cendres, 2020.
- Karen L. Bowen et Dirk Imhof, Christopher Plantin and Engraved Book Illustrations in Sixteenth-Century Europe, Cambridge, Cambridge University Press, 2008.
- Léon Voet, The Golden Compasses : A History and Evolution of the Printing and Publishing Activities of the Officina plantiniana at Antwerp, 2 vol., Amsterdam : Vangendt ; London : Routledge & Kegan Paul ; New York : A. Schram, 1969-1972.
* Auteur du blog : Renaud ADAM (ULiège Library)
* Citer ce blog : Renaud ADAM, "Christophe Plantin, imprimeur de la Renaissance", Blog de DONum (https://donum.uliege.be/news?id=63) (ISSN 3041-4547) (novembre 2025).






