L’art de la reliure
La reliure
La reliure est apparue à la fin de l’Antiquité, au IVe siècle, avec la généralisation du codex, l’ancêtre du livre moderne. Un ouvrage relié est composé de plusieurs cahiers de papier ou de parchemin cousus ensemble et protégés par une couverture. Au fil du temps, la technique subira une série d'évolutions qui mèneront au XVIe siècle à la reliure traditionnelle telle qu'elle est encore pratiquée aujourd'hui. Plusieurs types de reliures coexistent : des reliures de luxe destinées à des possesseurs fortunés, des reliures soignées pour des amateurs de beaux livres ainsi que des reliures courantes pour une clientèle plus modeste ou pour répondre à des besoins commerciaux. La gamme des matériaux employés pour recouvrir des ouvrages est ample : différentes sortes de cuirs (peaux de veau, truie, mouton, chèvre… et même humaine), parchemins, cartonnages, papiers marbrés, métaux, ivoires, orfèvreries, pierres précieuses, bois, etc.
Une sélection d’une trentaine de pièces au sein des collections d’ULiège Library a été opérée afin de mettre en lumière cinq siècles d’histoire de la reliure, de la fin du Moyen Âge au XXe siècle. Six types de reliures sont présentées ici : reliures estampées à froid, reliures à plaque, reliures à dorure, reliures en parchemin, maroquins et cartonnages d’éditeur.
Reliures estampées à froid
Au XVe et au début du XVIe siècle, les manuscrits et les premiers imprimés sont reliés à l’aide d’imposants ais en bois recouverts de cuirs. La décoration est réalisée à l’aide de la technique de l'estampage à froid, qui consiste à presser un outil chauffé au préalable (un fer, une plaque ou une roulette) qui laisse une empreinte en creux sur le cuir de couvrure du livre. La décoration diffère d’un territoire à l’autre. L’un des motifs les plus récurrents de nos anciennes régions est composé d’un lacis de losanges à l’intérieur duquel figurent un ou plusieurs fers. Un volume contenant des œuvres de Jean Buridan et de Gérard de Kalkar, copiées aux XIVe et XVe siècles, constitue un bel exemple de cette mode (ULiège Library, Ms 114). Sa reliure, en veau brun clair, est ornementée par des filets déterminant un rectangle où s'inscrivent des losanges et des triangles de deux espèces et de six fers aux motifs différents, dont l’un figure un agneau pascal regardant vers sa bannière et un autre représente deux oiseaux allant en sens inverse, se retournant pour becqueter une fleur de lys. La reliure a été confectionnée dans l’ancien couvent des croisiers de Huy.
Reliures à plaque
Avec l’apparition de l’imprimerie et la multiplication de livres qui en a découlé, les relieurs se sont notamment tournés vers des plaques en métal gravées qui permettent, à l’aide d’une presse, de décorer une reliure bien plus rapidement et de manière plus économique. Les motifs sont fréquemment empruntés à la bible ou à des saints, mais peuvent aussi reproduire des schémas végétaux ou des thématiques antiquisantes. Cet exemplaire du Libellus de conscribendis epistolis d’Érasme, imprimé à Anvers en 1547, présente sur sa reliure en veau brun une plaque représentant une femme sur un piédestal regardant une croix dans le ciel, entourée de citations latines, et signée ‘Fides’ (ULiège Library, R3404A). Ce type de plaque était très populaire dans les anciens Pays-Bas au cours des années 1530-1550. La nôtre porte le monogramme JB pour Jacob Baethen, imprimeur-libraire à Louvain à cette époque.
Reliures à dorure
La période du XVIe siècle marque un tournant majeur dans l'histoire de la reliure occidentale. La technique de dorure à la feuille pour décorer des reliures est progressivement adoptée dans toute l’Europe. Le goût pour les décors dorés, inspiré de pratiques arabo-persanes, est né en Italie avant de gagner l’ensemble du territoire européen à la faveur de la diffusion de la Renaissance dans la foulée des guerres d’Italie. Un genre nouveau se développe en France à partir des années 1540 à la faveur du bibliophile Jean Grolier : les plats de reliure sont ornés d'entrelacs formés à partir de doubles filets dorés qui se transforment en filets courbes. La couverture de cette bible bilingue latin grec, éditée par Érasme et imprimée à Paris en 1543, présente une ornementation similaire sur un veau brun (ULiège Library, R2336A). L’ouvrage porte la marque du collège des jésuites de Liège. Sont-ils les commanditaires de la reliure ou le livre leur a-t-il été légué tel quel ?
Reliures en parchemin
Dans le premier tiers du XVIe siècle, les ais de bois sont progressivement remplacés par des cartons, constitués de papier de remploi ou défets. Ces cartons sont parfois recouverts à l’aide de parchemins, qui peuvent être réutilisés aussi, ou de vélins. Au début XVIIe siècle, se généralise la reliure sur parchemin blanc à rabats, dite reliure hollandaise. Notre exemplaire de l’Utriusque astrolabii de l’astronome Gérard Stempel de Gouda et du graveur Adrien Zeelst de Louvain (Liège, 1602) présente une telle couverture avec une décoration dorée : armoiries au centre avec de grands fleurons aux coins cernés par un encadrement à doubles filets (ULiège Library, R394B). La vogue pour de telles reliures diminue au XVIIIe siècle.
Maroquins
Le matériau le plus noble utilisé par les relieurs est sans conteste le maroquin. Cette peau de chèvre ou de bouc tannée et colorée à l’aide de teintes végétales ou synthétiques se distingue par sa solidité, son épaisseur et son grain rond et large. Dans le courant du XVIe siècle, le maroquin s’impose auprès des personnes fortunées pour leurs reliures armoriées. Les couleurs des maroquins et les motifs décoratifs varient en fonction des époques. Le goût pour le semé, fondé sur la répétition régulière des fers héraldiques, se répand dans toute l'Europe au début du XVIIe siècle (ULiège Library, R244B). Au XVIIIe siècle, les reliures de maroquin rouge à plats bordés d'une dent de rat et d'une roulette à fleuron sont fréquentes, comme c’est le cas de notre exemplaire de L'office de la Sainte Vierge en latin et en françois publié à Paris en 1714 (ULiège Library, R289B). Le baron Wittert était particulièrement friand de ce genre de reliure. Plusieurs de ses incunables de romans gothiques en français sont parés de maroquin et portent les signatures de grands relieurs parisiens, telles cette reliure janséniste en maroquin rouge avec contreplats à la fanfare (ULiège Library, XV B 123), signée Chambolle-Duru, ou encore cet autre maroquin rouge, signé Belz-Niedrée, dont les plats comportent des filets dorés délimitant des losanges dont le centre est décoré de fleurons dorés en forme de rose (ULiège Library, XV B 112). Il confia également à des artistes belges, comme Laurent Claessens, le soin de relier ses livres à ses armes (ULiège Library, R2193B). L’université passa aussi commande de telles couvertures, notamment pour un recueil de manuscrits copiés par les croisiers de Liège en maroquin vert avec son sceau doré au centre des plats (ULiège Library, Ms 258).
Cartonnages d’éditeur
Au XIXe siècle, avec l’industrialisation de la chaîne du livre, apparaît un nouveau type de reliures, le cartonnage d’éditeur. Cette innovation repose sur la technique de l’emboîtage qui permet de mettre au point séparément et simultanément le bloc livre et sa couverture avant d’être réunis par un simple collage. Le procédé, mécanisé, permet d’obtenir à peu de frais des couvertures relativement solides et attrayantes. Cette méthode fut prisée par la plupart des grands éditeurs du XIXe siècle, dont Hetzel connu pour ses célèbres cartonnages recouvrant les romans de Jules Vernes. L’ULiège Library possède un exemplaire de Vingt mille lieues sous les mers cartonné en toile rouge avec tranches dorées (ULiège Library, R536C). Au milieu du XIXe siècle, se développe la vogue pour des cartonnages d’éditeur de couleurs et dorés, appelés « cartonnages romantiques » et destinés à des volumes de petite taille (livres d’étrennes et livres de prix). Parmi ceux présents dans les collections d’ULiège Library, citons ce cartonnage romantique à médaillon sur deux volumes des Milles et une nuits (Paris, 1843) dont les plats sont recouverts de papier bleu acier avec un riche décor rocaille inspiré du style Régence (ULiège Library, R1404A). Son plat supérieur présente un médaillon évidé pour recevoir une lithographie, coloriée et gélatinée, qui représente une dame en habits du XVIe siècle racontant un livre à deux enfants.
* Découvrir l’ensemble de la sélection des reliures numérisées dans DONum
* Pour en savoir plus :
ADAM, R., & PROOT, J., Bound to Last. Five centuries of bookbindings in the Cultura Fonds Library, Dilbeeck, De Eik, NV., 2024.
DEVAUCHELLE, R., La Reliure. Recherches historiques, techniques et biographiques sur la reliure française, Paris, Filigranes / Art & Métiers du Livre, 1995.
La reliure. Parure du livre, du XVe au XXe siècle, Alleur, Éditions du Perron, 1991.
* Auteur du blog : Renaud ADAM (ULiège Library)
* Citer ce blog : Renaud ADAM, "L’art de la reliure", Blog de DONum (https://donum.uliege.be/news?id=59) (ISSN 3041-4547) (novembre 2024).