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À la rencontre des chroniques liégeoises de l’époque moderne

22 Mar 2024

L’Université de Liège conserve plus d’une centaine de chroniques liégeoises rédigées ou copiées à l’époque moderne. Parmi celles-ci figurent des récits de témoins directs, des copies érudites de sources médiévales aujourd’hui perdues, ou encore des compilations de travaux anciens. La récente campagne de numérisation de ces manuscrits est l’occasion de présenter plusieurs d’entre elles.

Deux copies modernes des Gesta pontificum Leodiensis ecclesiae

La plus ancienne chronique épiscopale de l’évêché de Liège fut rédigée par l’abbé Hériger de Lobbes († 1007) à la demande de l’évêque Notger (972-1008). Elle s’étend de l’épiscopat de Materne (début du IVe siècle), premier évêque de Tongres, à celui de Remacle (milieu du VIIe siècle). Ce travail fut poursuivi par le chanoine Anselme (1008-ca 1056) jusqu’à l’épiscopat de Wazon (1042-1048). Les originaux de ces deux textes ne sont malheureusement pas parvenus jusqu’à nous.

L’université de Liège possède trois versions manuscrites de cette histoire des évêques de Liège. La plus ancienne date du début du XIIIe siècle et est originaire de l’abbaye cistercienne d’Aulne (Ms. 3173). Deux autres remontent à l’époque moderne. La première fut copiée au début du XVIe siècle au couvent des croisiers de Liège et contient, en plus des gesta médiévaux, une continuation jusqu’à l’année 1525 (Ms. 178). La seconde est une copie érudite exécutée en 1606 par le chanoine de saint Materne de la cathédrale Saint-Lambert, Daniel Raymundi (ca. 1558-1634) (Ms. 1964). Cette version présente un grand intérêt puisqu’elle fut retranscrite au départ d’un manuscrit sur parchemin de la collégiale Saint-Martin, aujourd’hui perdu.

 

Henri van den Berch et les sources anciennes pour l’histoire de la principauté de Liège

Originaire de Liège, Henri van den Berch (1592-1666) obtint, avant 1632, un canonicat et une prébende à la collégiale de la Sainte-Trinité de Spire. Quelques années plus tard, il fut nommé, par Ferdinand de Bavière, Roy Héraut d’Armes du pays de Liège et du comté de Looz en 1640, fonction qui fut étendue aux provinces du Rhin, de Souabe et du « destroict » de Franconie en 1658. Il avait au préalable été élevé à la dignité de comte palatin et d’eques auratus en 1636.

Plus d’une trentaine de manuscrits du chanoine sont répertoriés. L’Université détient notamment sa Cronicque des rois, ducs et évesques de l'ancien royaulme de Tongre, et évesques de la noble cité et pays de Liège (Ms. 464), sa Chronicque du pays de Liege (Ms. 465), sa Collectio variorum diplomatum et actorum Ecclesiae et Patriae Leodiensis ex archivis ecclesiae cathedralis, ecclesiarum, collegiatarum et monasteriorum (Ms. 1971), ses Monumenta historiae Leodiensis, en deux tomes (Ms. 986, 987) ainsi que ses Monumenta Patriae leodiensis (Ms. 188). L’œuvre d’Henri van den Berch est précieuse, car, durant une grande partie de sa vie, le chanoine sillonna la région de Liège et visita ses châteaux, ses églises, ses chapelles ou encore ses abbayes pour y relever des épitaphes, des blasons, sans oublier d’étudier et de copier de nombreuses archives. Il réunit et édita l’ensemble de ces documents dans ses nombreux travaux, conservant la mémoire d'archives ou de descriptions d’œuvres aujourd’hui perdues.

Guillaume Bernard Hinnisdael et l’obituaire de la cathédrale de Liège

Guillaume Bernard Hinnisdael († 1709) fut reçu chanoine de Saint-Lambert en 1662 avant d’être élu prévôt de la collégiale Sainte-Croix en 1667. Il devint deux ans plus tard chantre de la cathédrale. Ses talents d’administrateur lui valurent l’obtention du vicariat général en 1695.

Il est l’auteur d’une Chronologica perillustris ecclesiae Leodiensis qui se veut, en quelque sorte, un répertoire biographique des chanoines de la cathédrale, depuis saint Lambert jusqu’au XVIIe siècle (Ms. 1979, 1980, 1981, 1982, 1983). Cette œuvre, restée à l’état de manuscrit, comporte six tomes en cinq volumes. Le premier tome contient une copie de l’obituaire de la cathédrale de Liège, dont l’original est perdu (ff. 335r-368v). La présence d’un tel document dans un catalogue de chanoines pourrait, de prime abord, paraître surprenante, mais la démarche d’Hinnisdael doit certainement s’expliquer par la présence, dans l’obituaire, de la mention d’un grand nombre de chanoines dont aucune trace n’est conservée ailleurs. Cette copie est fidèle dans l’ensemble, mais il faut pointer une actualisation des toponymes et de l’orthographe ainsi que la présence de résolutions d’abréviations parfois hasardeuses. Il importe également de noter que le chanoine intégra la commémoration de cinq personnes des XVe et XVIe siècles et plusieurs remarques personnelles.

Albert Joseph Gossuart et le tremblement de terre de 1692

Albert Joseph Gossuart (1681-1720), jurisconsulte et avocat à la cour épiscopale, travailla pendant près de douze ans à son histoire du pays de Liège intitulée Croniques Liegeoises et familiéres, déclinée en trois tomes (Ms. 1152, 1153, 1154). Les index de ces trois volumes permettent de prendre la mesure de l’ampleur des sujets abordés et de la richesse de cette source pour la fin du XVIIe siècle et le début du XVIIIe siècle : « conspirations », « incendies », « sacriléges », « trouppes », « voleurs de grands chemins », etc.

Sous la rubrique « occisions », figure, entre autres, un renvoi au terrible tremblement de terre du 18 septembre 1692, l’un des plus importants que connut le nord-ouest de l’Europe et dont la magnitude est estimée entre 6.0 et 6.5. Son épicentre doit être situé dans le marquisat de Franchimont, dans l’actuel arrondissement de Verviers. La ville de Liège fut gravement touchée, comme le relate Albert Joseph Gossuart : « Le 18me 7bre 1692, a deux heures et un quart après midÿ il se fist a Liège, un tremblement de terre si grand, que la mémoire d’hommes n’en at veu, nÿ entendu dire d’un pareil ; il n’ÿ eust pas une maison, nÿ Eglise dans cette ville qui n’en eust ressentÿ du dommage ; il y eust plusieurs personnes êcrasées et quantité de blessées par les dêbris des Cheminées et des toicts ; et il nÿ at personne qui n’aie ressentÿ la secousse vehemente de la terre ; on ne pourroit s’imaginer la Consternation qui fust causée par ce tremblement et qui dura pendant plusieurs jours en sorte que Chascun s’attendoit a une prochaine fin par les bruits qui se semoient que le tremblement devoit recommencer plus fort que jamais ; il ÿ eust peu de personnes qui pendant la nuit du 18 au 19 oserent rester dans sa maison les uns demeurerent dans leur jardins et sur les places, les autres resterent dans les Eglise en priant Dieu, et plusieurs furent hors la ville » (tome 1, p. 189). Les décès de plusieurs personnes ainsi que les blessures subies par d’autres sont confirmés par d’autres sources.

* Pour découvrir les chroniques liégeoises de l'époque moderne numérisées dans DONum, cliquez ici.

* Pour en savoir plus :

- CLOSE FL., « Gesta pontificum Leodicensis ecclesia (Liège, Bibliothèques ULiège, Ms. 3173) », in OGER C., SIMON S. et THIRION, P. (dir.), Empreintes. Patrimoine écrit, témoin de l'Histoire, Liège, Presses universitaires de Liège, 2018, p. 43.

- OGER C., « Henri van den Berch, Monumenta historiae Leodiensis…, vol. 2, 428 p., papier, Liège, 1633 (Liège, Bibliothèques ULiège, Ms. 987) », in OGER C., SIMON S. et THIRION P., (dir.), Empreintes. Patrimoine écrit, témoin de l'Histoire, Liège, Presses universitaires de Liège, 2018, p. 45.

- MARCHANDISSE A., L'obituaire de la cathédrale Saint-Lambert de Liège (XIe-XVe siècles), Bruxelles, Palais des académies, 1991.

- ALEXANDRE P., KUSMAN D., CAMELEBEEK Th., « Le tremblement de terre du 18 septembre 1692 dans le nord de l'Ardenne (Belgique) : Impact sur le patrimoine architectural », in LEVRET A. (éd.), Actes des VIes Rencontres du groupe APS "Archéosismicité et Vulnérabilité. Environnement, bâti ancien et société" (Perpignan, 4-5.10.2002), Perpignan, Groupe APS, 2008, p. 127-139.

*Auteur du blog : Renaud ADAM, ULiège Library, avec la collaboration de Cécile OGER, ULiège Library (mars 2024).