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Un meurtre, une ville, un évêque… l'histoire de saint Lambert

5 Sep 2023

À l’occasion de la rentrée académique, le blog de DONum se penche sur la figure de l’évêque Lambert, martyrisé un 17 septembre d’une année inconnue, située entre 696 et 705. Qui se cache derrière ce personnage et quelle est la part de la légende autour de lui ?

1. L'homme, l'évêque mérovingien

Lambert descend d’une famille aristocratique aisée originaire de la région de Maastricht. Plusieurs membres de sa parentèle, dont son père, exercèrent des fonctions comtales. Cette proximité avec le pouvoir mérovingien aura très certainement pesé dans le choix de Lambert comme évêque de Tongres-Maastricht (l'ancienne dénomination du diocèse de Liège). D’ailleurs, il est permis de se demander si ce grand lignage mosan ne considérait pas le diocèse de Tongres-Maastricht comme un évêché familial.

Quoi qu’il en soit, dans sa jeunesse, Lambert fut confié à l’évêque de Tongres-Maastricht, Théodard, pour suivre une éducation religieuse (ca 669-670). Le prélat entretenait de bonnes relations avec la famille du jeune aristocrate et bénéficiait également d’une belle réputation à la cour royale mérovingienne. L’assassinat de Théodard (ca 675) au cours d’un voyage en Allemagne place Lambert sur le devant de la scène. Des hauts dignitaires proposent alors à Childéric II de l’élever à la fonction épiscopale. Cependant, quelques années plus tard, le jeune prélat, qui avait su s’attirer les faveurs du souverain, est déposé dans la foulée d’une révolte de palais. Il est remplacé par Pharamond et est contraint à l’exil à l’abbaye de Stavelot avec ses serviteurs. L’arrivée au pouvoir de Pépin II sept ans plus tard bouleverse l’échiquier politique. Lambert est alors rétabli dans ses fonctions et part évangéliser la Toxandrie (région comprise entre l’Escaut et la Meuse). Cette mission évangélisatrice s’inscrit dans la politique d’incursion franque vers le Nord, avec la guerre menée contre les Frisons par Pépin II et l’apostolat de saint Willibrord.

Le 17 septembre d’une année inconnue, située entre 696 et 705, l’évêque Lambert est assassiné à Liège, dans sa villa de campagne, victime d’une vendetta qui l’opposait au clan d’un haut fonctionnaire de Pépin II, Dodon, alors en charge de la gestion des domaines royaux. Cette querelle tire son origine du meurtre de proches de ce Dodon par des partisans – peut-être des parents ? – de Lambert. Les deux groupes s’étaient affrontés pour la possession de biens de l’église de Tongres-Maastricht. Le domesticus du roi devait laver cet affront dans le sang et envoya des membres de sa milice privée exécuter Lambert et ses proches. Les rescapés de cette expédition punitive ramenèrent discrètement le corps de Lambert à Maastricht et l’enterrèrent en toute hâte dans l’église Saint-Pierre aux côtés du père du défunt. Pépin II aurait été contraint de fermer les yeux sur cet assassinat au vu du poids politique de la faction dirigée par Dodon. Cette tragédie s’inscrit vraisemblablement dans la lutte, parfois sanglante, entre ces deux clans pour la possession du patrimoine du diocèse de Tongres-Maastricht.

Un culte se développe assez rapidement sur le lieu du martyre. Des miracles commencent à se multiplier et les fidèles affluent. L’évêque Hubert, qui avait succédé à Lambert par la volonté des Pippinides, décide alors de procéder à la translation de la dépouille à Liège, un acte d’expiation et de purification. Une basilique est construite dans la foulée pour accueillir les restes de Lambert. L’ancienne villa devient la résidence principale de l’évêque de Tongres-Maastricht dans le courant du VIIIe siècle. Quelques décennies plus tard, au début du IXe siècle, le transfert du siège du diocèse, de Maastricht à Liège, est officialisé. Le diocèse de Liège venait de naître.

2. La Légende, dénoncer l'adultère

Un clerc du diocèse de Liège, resté anonyme, compose une première biographie de Lambert entre 727 et 743. Ce texte, à vocation liturgique et écrit dans un latin rustique, contient des propos recueillis directement auprès de témoins ayant connu Lambert. Cependant, l’imagerie populaire va progressivement s’emparer de ce récit pour en donner une vision déformée. La légende de saint Lambert martyrisé pour avoir refusé de bénir la coupe d’Alpaïde, concubine de Pépin II et sœur de Dodon, va s’imposer au fil des différentes réécritures de la vie et des gestes de l’évêque. Signalons, entre autres, les Gesta pontificum Leodicensi ecclesiae du chanoine de la cathédrale de Liège, Anselme († 1056), rédigés vers 1050, où sont évoqués les amours du roi Pépin et de la sœur de Dodon, les critiques sévères de saint Lambert ainsi que l’intervention brutale de Dodon. L’ULiège Library possède deux copies manuscrites de ce texte, l’une rédigée au XIIIe siècle (Ms. 3173) et l’autre au début du XVIe siècle (Ms. 178). Cette chronique fut éditée début du XVIIe siècle par le vicaire général Jean Chapeaville (1551-1617) et imprimée par Christian Ouwerx en 1612 (R03331B). Léonard Streel mit sur le marché une version française quelques années plus tard, en 1617 (R00250A).

L’intégration d’une Vie de saint Lambert dans la célèbre Légende dorée de Jacques de Voragine (ca 1228-1298), au XIIIe siècle, offre à son culte une très large audience au niveau européen et renforce la légende d’Alpaïde. Plus d’un millier de copies manuscrites de ce texte sont encore conservées, dont une que l’on doit à un copiste du couvent des croisiers de Liège et qui date du milieu du XVe siècle (Ms. 167). L’invention de l’imprimerie par Gutenberg à la même époque accroît considérablement la diffusion de ce recueil de vies de saints et de saintes. L’ULiège Library en possède une dizaine de versions, tant en latin qu’en néerlandais ainsi qu’en italien. La plus ancienne remonte à l’année 1483 et sort de l’atelier strasbourgeois de Georg Husner (XV.B137 & XV.B258), tandis que la plus récente date de 1592 et est due au Vénitien Matteo Valentini (R04570B). Cette dernière se distingue par une très belle page de titre d’inspiration renaissante.

Au XVIIe siècle, plusieurs auteurs liégeois s’emparent de la biographie du saint, certains très engagés sur la tradition liégeoise de la réprimande des amours interdits de Pépin. Citons, entre autres, les récits de François Louis de Tello (J. P. Gramme, 1622), Denis Coppée (L. Streel, 1624), Jean Roberti (J. Tournay, 1633), Mathias Franchimont (Chr. Ouwerx, 1659) ou encore René-François de Sluse (G. H. Streel, 1679). Terminons cette évocation par ce Courtisan chrétien immollé en victime d'Etat à la passion de la Cour : ou S. Lambert évêque de Tongres et martyr sacrifié pour les intérêts de l'honneur coniugal de Claude du Bosc de Montandré, dont le titre ne laisse planer aucun doute sur les intentions de l’auteur (veuve de L. Streel et G. H. Streel, 1657). Du Bosc de Montandré était alors à Liège en exil pour avoir mis sa plume énergique au service de la Fronde. D’ailleurs, sous sa plume, Lambert ressemble furieusement au grand Condé.

3. L'iconographie, un saint martyrisé

Au cours de l’histoire, l’iconographie de saint Lambert est restée stable. Il est généralement représenté en évêque, affublé des vêtements ecclésiastiques et de ses insignes épiscopaux. La scène du martyre est l’une des images les plus largement diffusées, avec le plus souvent la représentation de l’un des meurtriers placé sur un toit ou de manière surélevée. L’un des plus beaux exemples est certainement cette enluminure peinte dans le psautier dit de Lambert le Bègue au XIIIe siècle. En 1653, Michel Natalis propose une gravure du buste reliquaire commandé par Érard de La Marck qui a rencontré une large audience (Musée Wittert, inv. 1578). Léonard Jehotte en propose une copie en 1789 (Musée Wittert, inv. 33655). Au Grand Siècle se développe également le thème de la Vierge apparaissant dans le ciel pour accueillir le saint martyr. Le graveur Hubert Spiesz nous a notamment laissé le souvenir d’un tableau aujourd’hui perdu reprenant cette imagerie. Son estampe n’est pas datée, mais arbore les armes de Maximilien-Henri de Bavière (1621-1688) (Musée Wittert, inv. 2031). Les collections artistiques de l’Université de Liège possèdent également une esquisse à la mine de plomb avec rehauts blancs sur papier bleu signée par le peintre Bertholet Flémal (1614-1675) (Musée Wittert, inv. 2507). La scène du martyre est ici traitée de manière traditionnelle et peut se comparer à celle du psautier de Lambert le Bègue. Notons enfin cette singulière représentation de saint Lambert en armure sur un cheval et brandissant une épée, qui sert à illustrer un registre de la gilde des hallebardiers et escrimeurs de Malines datant du XVIIIe siècle (Ms. W82).

4. Survivances, entre commémorations et rigueur critique

Si le XIXe siècle voit la parution de quelques ouvrages de peu d’intérêt, il convient toutefois de citer l’Étude critique sur Saint Lambert et son premier biographe de l’historien Godefroid Kurth (Anvers, J. Plasky, 1876) qui propose pour la première fois une lecture critique de la première biographie de l’évêque. La célébration du martyre de saint Lambert en 1896 donne également lieu à la publication de plusieurs ouvrages et autres plaquettes, tant en français qu’en néerlandais, dont une Vie de Saint Lambert par l’historien Joseph Demarteau (Liège, Imprimerie et lithographie Demarteau, 1896).

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* Pour en savoir plus :

GEORGE Ph., Saint Lambert. Culte et iconographie, Liège, Massoz, 1980.

KUPPER J.-L., GEORGE Ph., Saint Lambert, de l’histoire à la légende, Bruxelles, Luc Pire, 2006.

*Auteur du blog : Renaud ADAM, ULiège Library (septembre 2023).