Scientific presentation

À partir du XVe siècle, les Européens se hasardent au-delà des limites de leur monde et rencontrent des terres dont ils ignoraient l’existence : les Portugais contournent le continent africain et s’aventurent dans l’Océan indien (1484), tandis que les Espagnols débarquent par hasard en Amérique (1492). Les Européens ont vite fait de se convaincre qu’il est de leur devoir de christianiser ces terres : franciscains et dominicains, bientôt rejoints par les jésuites, deviennent alors missionnaires. Mais ce travail d’évangélisation est loin d’être facile : les voyages sont longs, les conditions de vie sont rudes et les peuples rencontrés sont bien souvent hostiles. Nombreux sont les missionnaires qui perdent leur vie dans pareilles aventures. En Europe, on les élève alors aux rangs de « martyrs », parce qu’on considère qu’ils sont morts pour défendre la foi catholique.

Les jésuites, dans les églises de leurs collèges à Rome, où ils forment de futurs missionnaires, font peindre de grandes fresques où ils montrent les corps mutilés et massacrés de ces « martyrs ». Ils multiplient en outre les publications exaltant la mort « glorieuse » de ces pères, tombés pour leur foi. Ces ouvrages permettent à l’ordre se s’imposer comme un acteur efficace de la propagation du catholicisme, triomphant de la « cruauté barbare » et dominant la « folie hérétique ». Aussi le discours jésuite sur les martyrs se préoccupe-t-il peu d’élaboration théologique poussée. Il vise avant tout à composer un tableau évocateur où les martyrs seraient les courageux héros d’une Compagnie exaltée comme « armée victorieuse de Jésus ».

C’est dans cette tradition que s’inscrit le jésuite Matthias Tanner (1630-1692), recteur de l’université de Prague. En 1675, il publie ce gros ouvrage latin d’environ 550 pages, illustré de très nombreuses planches gravées. Textes et images relatent, sans pathos mais avec force détails réalistes, la mort souvent extrêmement violente de 304 pères jésuites « qui ont versé leur sang et perdu la vie en Europe, en Afrique, en Asie et en Amérique en luttant contre les païens, les musulmans, les juifs, les hérétiques et les impies pour Dieu, la Foi, l’Eglise et la Piété » (selon les mots mêmes du titre). Le collège jésuite wallons installés à Liège en possédait un exemplaire, aujourd’hui conservé dans les collections patrimoniales de l’Université.

Annick Delfosse
Professeure ordinaire

Cette présentation a été réalisée dans le cadre du catalogue de l'exposition Empreintes. Patrimoine écrit, témoin de l’Histoire qui s'est déroulée à la Cité Miroir (Liège), du 21 avril au 20 juillet 2018.