Les gros poissons mangent les petits
Détails
Engraver(s): | Heyden, Pieter van der [dit Merica] (c.1530-1575) |
Production date: | 1557 16th century Modern times (1492-1789) |
Original object location: | Musée Wittert |
Collection: | Animals |
Material, support of the original object: | Burin |
Identifier(s): | Numéro d'inventaire : 24752 |
Classification(s): | Arts & humanities => Art & art history Life sciences => Zoology |
Part of: | Public domain |
Permalink: | https://hdl.handle.net/2268.1/1921 |
Scientific presentation
Dans une barque occupant le premier plan, un père montre à son fils – et du même coup au spectateur de l’estampe – comment les puissants oppriment toujours les plus faibles. La leçon prend la forme d’une illustration littérale de l’adage selon lequel les gros poissons mangent les petits. Ecce (mot latin pour « voilà »), dit l’homme en désignant du doigt un poisson gigantesque, échoué sur le rivage. De la mâchoire béante et du flanc de l’animal, qu’un soldat éventre à l’aide d’un immense couteau, s’échappe une multitude de poissons plus petits, de la bouche desquels sortent à leur tour d’autres poissons. Aux alentours, des scènes analogues font écho à celle-ci. Le message est percutant et universel. On comprend que l’image ait été maintes fois copiée jusqu’à nos jours.
Sur la base d’inscriptions ajoutées sur le troisième état de la gravure (« L’oppression des pauvres… »), certains ont imaginé que celle-ci véhiculait une critique à l’égard de l’ordre établi, voire un soutien à ceux qui s’opposaient à l’époque au pouvoir des Habsbourg. Cette interprétation ne fait toutefois pas l’unanimité. Qu’il dénonce des faits particuliers ou qu’il soit de portée plus générale, le message délivré ici est teinté d’accents comiques et fantastiques, comme c’est souvent le cas chez Bruegel.
L’estampe procède d’un dessin préparatoire signé par l’artiste et daté de 1556 (Vienne, Albertina, inv. 7875). Pourtant, l’inscription présente dans le coin inférieur gauche cite Jérôme Bosch et non Bruegel comme inventor. Peut-être l’éditeur, Jérôme Cock, a-t-il voulu exploiter le nom très prestigieux de Bosch pour des raisons commerciales. Une autre explication avancée par M. Ilsink mérite toutefois l’attention : dans le contexte d’intense émulation que suscitait au milieu du siècle l’héritage artistique du maître de Bois-le-Duc, c’est peut-être Bruegel lui-même qui a voulu revendiquer sa filiation à l’égard de celui-ci et lui rendre hommage, tout en se mesurant à lui. Comme dans d’autres gravures, telles la Tentation de saint Antoine et la série sur les Vices, Bruegel a en tout cas puisé au répertoire formel que Bosch avait développé quelques décennies plus tôt. On retrouve le motif du poisson piscivore dans plusieurs œuvres de ce dernier, comme la Tentation de saint Antoine (Lisbonne, Museu Nacional de Arte Antiga), l’Adoration des Mages ou encore le célèbre Jardin des délices (tous deux au Museo Nacional del Prado à Madrid). Par la suite, Bruegel allait encore faire usage de ce motif dans son tableau intitulé Les proverbes (Berlin, Gemäldegalerie). La créature hybride au corps de poisson monté sur des jambes d’homme qui apparaît sur la gauche de la gravure provient elle aussi de l’univers de Bosch : elle est repérable sur le panneau central du Chariot de foin (Madrid, Museo Nacional del Prado). Face à ces références explicites ou plus allusives, on ne s’étonne pas d’apprendre que Bruegel fut acclamé par ses contemporains comme un « nouveau Bosch ».
L’épreuve du Musée Wittert, dégradée dans le coin inférieur gauche, a subi une restauration lors de laquelle les lacunes, dans les inscriptions, ont été complétées à l’encre, non sans écarts et omissions par rapport à l’état originel : le monogramme du graveur (PAME, pour Petrus A Merica, forme latine du nom de Pieter van der Heyden) et le verbe Siet qui introduisait la citation néerlandaise ont disparu, le G de Grandibus a été transformé en B, et le nom de Bruegel a été ajouté au résidu de la signature de Bosch. L’auteur de l’étonnante signature qui en résulte (Bruegel hymus Bos) n’ignorait donc pas l’identité réelle de l’inventor de la composition.
Dominique Allart et Gaylen Vankan
Cette présentation a été réalisée dans le cadre de la collection "Arm@rium Universitatis Leodiensis. La bibliothèque virtuelle du Moyen Âge et de la première Modernité de l’Université de Liège", développée par l'Unité de Recherche Transitions .
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- Orenstein, N., Sellink, M. (éd.), Pieter Bruegel the Elder, The New Hollstein : Dutch & Flemish Etchings, Engravings and Woodcuts, 1450-1700 , Ouderkerk aan den Ijssel, 2006, n° 31.
- Ilsink, M., Bosch en Bruegel als Bosch: Kunst over kunst bij Pieter Bruegel (c. 1528-1569) en Jheronimus Bosch (c. 1450-1516), Nimègue, 2009, p. 216 et suivantes.
- Mössinger, I., Müller, J. (éd.), Pieter Bruegel d. Ä und das Theater der Welt [catalogue d'exposition], Chemnitz, 2014, n° 21.
- Sellink, M., Bruegel. L‘œuvre complet. Peintures, dessins, gravures, 2011, n° 43.
- Silver, L., Pieter Bruegel , New York/Londres, 2011, p. 84-86.
- Haag, S. (dir.), Bruegel [catalogue d'exposition], Vienne, 2018, n° 21.
- Baassens, M., Van Grieken, J., Bruegel in Black and White, The Complete Graphic Works [catalogue d'exposition], Bruxelles, 2019, n° 8.
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