Lorsque l’on évoque la littérature italienne de la Renaissance, les noms de ces figures incontournables que sont Dante, Pétrarque, l’Arioste, Baldassarre Castiglione, Machiavel ou encore le Tasse viennent immédiatement à l’esprit. Ces auteurs ont joui d’un grand prestige à leur époque et ont exercé une influence durable sur les lettres européennes. Les collections de la bibliothèque de l’Université de Liège font d’ailleurs écho du prestige de ces écrivains par l’accueil qui leur fut réservé au sein de ses rayonnages.
La présente exposition virtuelle a été conçue comme une invitation à (re)découvrir ce patrimoine au travers d’une sélection d’une vingtaine de pièces. Elle se décline autour de trois thématiques complémentaires : l’italianisme à Liège à la première Modernité, la collection d’éditions en italien et la constitution de ce fonds. Les deux premières pages évoquent la réception de l’italien à Liège, « cette bonne ville barbare » comme disait Pétrarque, avec la présentation de la production imprimée locale et la mise en lumière de l’activité littéraire de Philippe de Maldeghem, membre des cénacles érudits italianisants de la ville. Une autre page est consacrée aux imprimés du XVIe siècle en langue italienne. Nos régions ont également eu accès à cette littérature par le truchement des traductions françaises. C’est pourquoi une page a été dédiée à l’infatigable Gabriel Chappuys, l’un des traducteurs les plus prolifiques de la seconde moitié du XVIe siècle. Enfin, il semblait intéressant de dire un mot sur la formation du fonds en dédiant une page aux précédents possesseurs des livres en langue italienne conservés à Liège et une dernière au baron Adrien de Wittert dont la généreuse libéralité a fait entrer nombre de trésors aux seins des collections de l’Université. Pour chacune de ces thématiques, il a été décidé de mettre un livre en exergue.
Ces pages ont été rédigées par les étudiants de Master 1 et 2 en Histoire et Histoire de l’Art (HAA) qui ont suivi le cours d’Histoire du livre à la Renaissance durant l’année académique 2015-2016 (Brigitte Bestaoui, Corentin Donneaux, Martin Falisse, Leila K. Jaa, Aleuna Macarenko, Eva Trizzulo).
Renaud Adam
Chargé de recherches au FNRS
Service d’Histoire moderne
Transitions - Unité de recherches sur le Moyen Âge & la première Modernité
Alors que des ateliers d’imprimerie se sont ouverts dans les anciens Pays-Bas dès le dernier tiers du XVe siècle, il a fallu attendre la seconde moitié du XVIe siècle pour qu’un imprimeur, Gautier Morberius, s'installe de manière durable en Principauté de Liège. Il répondait à une invitation des autorités communales. On conserve toutefois des traces du passage antérieur de typographes itinérants tel Corneille de Delft venu imprimer, vers 1500, une œuvre de Lombardo della Seta, disciple de Pétrarque. À la suite de Morberius, les imprimeurs Henri Hovius, Christian Ouwerx et Arnold Corswarem, fondateurs de dynasties d'imprimeurs qui exerceront jusqu'à la fin du XVIIe siècle, ont créé à leur tour des ateliers typographiques dans la cité mosane.
La place du livre « italien » est minime au regard de la production imprimée en Principauté de Liège à la première Modernité. Sur les quelque 540 livres parus avant 1630, seulement 3 sont des ouvrages en langue italienne, le premier ayant paru en 1626. On compte aussi 9 traductions françaises. Pour plus de la moitié, ces livres abordent des thématiques religieuses. Parmi ceux-ci, on peut pointer Le Gerson de la perfection religieuse reproduit en 1603 par Léonard Streel, gendre de Gautier Morberius. Rédigé vers 1600 par le jésuite italien Luca Pinelli, il s'agit d'un ouvrage destiné aux croyants ayant la volonté de suivre le « chemin de la perfection religieuse » grâce à une série de préceptes proposés par l'auteur et classés par thématiques.
Martin Falisse (Master 2 HAA)
Luca Pinelli, Le Gerson de la perfection religieuse, et de l’obligation que chaque Religieux a de l’acquérir (tr. P. C. L.), Liège, Léonard Streel, 1603, 12° (Voir sur DONum).
Autre édition liégeoise numérisée :
Antonio Abbondanti, La Giuditta et le Rime sacre, morali e varie, Liège, Jean Ouwerx, 1630, 8° (Voir sur DONum).
L’Université de Liège conserve les deux éditions de la seule traduction française d’un texte de Pétrarque réalisée à la première Modernité en terres liégeoises. Il s’agit du Pétrarque en rime françoise avecq ses commentaires traduit par Philippe de Maldeghem à la fin du XVIe siècle. Ce texte reprend des poésies qui ne sont pas dans le Canzoniere de Pétrarque, les Rime et les Trionfi. Originaire du comté de Flandre, Philippe de Maldeghem a émigré en bords de Meuse à la suite des troubles politico-religieux qu’ont connu les Pays-Bas et a été accueilli à Liège au sein de la cour cosmopolite d’Ernest de Bavière. Dans la foulée, il rejoint le cercle lettré italianisant réuni autour de Dominique Lampson. Grand connaisseur de la langue italienne, ce dernier l’a encouragé à poursuivre la traduction des Rime et les Trionfi entreprise pendant sa convalescence consécutive à une blessure reçue en 1586 au cours d’une campagne militaire en Westphalie.
Pour lui donner une meilleure chance de diffusion, Maldeghem ne publiera pas son livre à Liège mais bien à Bruxelles chez Rutger Velpius en 1600. Le Pétrarque en rime françoise connaitra une nouvelle émission à Douai chez François Fabry six ans plus tard. Il s’agit de l’exemplaire numérisé ici.
Brigitte Bestaoui (Master 1 Histoire)
Pétrarque en rime françoise avecq ses commentaires (trad. P. de Maldeghem), Douai, François Fabry, 1606, 8° (Voir sur DONum).
S’il est vrai que l’Université de Liège possède une collection remarquable d’ouvrages imprimés au XVIe siècle, il convient de rappeler que les œuvres en langue italienne y sont minoritaires puisqu’elles ne représentent que 5% de l’ensemble de la collection. Il s’agit toutefois du troisième fonds en termes d’importance linguistique après le latin (75 %) et le français (12 %), mais étonnement avant le néerlandais (4,85 %). Les langues vernaculaires étant particulièrement mises à l’honneur à la fin du XVIe siècle, il n’est dès lors pas étonnant de noter que la langue italienne est surtout présente pour les ouvrages datés de la décennie 1571-1580. Parmi les centres de production les plus représentés au sein de ce fonds, on retrouve sans surprise la ville de Venise, comme c’est le cas d’une œuvre majeure de Thucydide traduite en langue toscane par Francesco Strozzi, les Guerres du Péloponnèse, imprimées à Venise en 1550.
La littérature moderne est sans conteste le genre le plus répandu au sein des œuvres en langue italienne, bien que l’on trouve plus rarement des traductions d’auteurs classiques, tel que l’ouvrage pris comme exemple. Ce dernier fait également partie de ces livres de petit format, rehaussés de très rares gravures historiées et limitées aux lettrines initiant chaque chapitre. En conclusion, même si cet ouvrage appartient à une catégorie relativement marginale au sein des collections universitaires, il témoigne de l’intérêt que l’on porta au début du XXe siècle aux œuvres classiques traduites en italien, puisque qu’il fut acheté grâce à la rente du baron Adrien Wittert.
Eva Trizzullo (Master 2 HAA)
Thucydide, Gli otto libri di Thucydide atheniese, delle guerre fatte tra popoli della Morea, et gli atheniesi, Venise, al segno del Laocoonte, 1550, 8° (Voir sur DONum).
Autres éditions numérisées :
Neveu du célèbre poète Claude Chappuys, Gabriel Chappuys est sans conteste l’un des traducteurs les plus féconds de son temps. Homme de lettres vivant de ses écrits, il est l’auteur d’une centaine d’ouvrages. Son travail est représentatif d’une époque en pleine mutation puisque ses choix portent généralement sur des livres espagnols ou italiens nouvellement parus. Il s’est également illustré par ses activités dans le monde éditorial. Il a successivement occupé les postes de pré-lecteur, correcteur et traducteur avant d’entrer au service de la cour de France en succédant à François de Belleforest à la charge d’historiographe. Il occupera par la suite les charges de secrétaire et interprète du roi. À la fin de sa vie, une fois devenu chanoine, Chappuys s’est consacré davantage à la traduction de texte religieux.
Celui que l’on surnomme Le Tourangeau peut être considéré comme un véritable « passeur » car, par son travail, il a mis à disposition du public francophone des éléments capitaux de la culture italienne mais aussi espagnole. C’est dans ce cadre que s’inscrivent les Mondes celestes, terrestres et infernaux du satiriste florentin Anton Francesco Doni, imprimés à Lyon pour Michel Etienne en 1580.
Leila K. Jaa (Master 1 Histoire)
Anton Francesco Doni, Les mondes celestes, terrestres et infernaux (trad. G. Chappuys), Lyon, Michel Etienne, 1580, 8° (Voir sur DONum).
Autres traductions de Gabriel Chappuys numérisées :
Les exlibris que les possesseurs successifs laissent au fil des pages d’un ouvrage sont de précieux indices pour qui désire en retracer les pérégrinations, révélant parfois des destins exceptionnels. Parmi tous les anciens propriétaires du fonds italiens, se côtoient tant des anonymes que des grandes figures historiques, tel Colbert dont le nom a été retrouvé sur un exemplaire de l’Historia naturale de Ferrante Imperato.
Examinons le parcours de ce Nouveau Testament bilingue latin et italien paru à Lyon en 1558 chez Guillaume Rouillé. Dès l’année suivante, les textes qui le composent sont mis à l’Index, contraignant l’ouvrage à un long exil. Ainsi, on en retrouve tour à tour la trace à Bâle (où l’objet est relié entre 1579 et 1585), à SaintMihiel en Lorraine (où l’imprimé fait dès 1599 la fierté d’un prêtre catholique prénommé Sébastien Poiresson), ou encore à l’abbaye bénédictine de SaintEpvre de Toul, où l’ouvrage séjournera de 1743 jusqu’à la mise à sac du monastère dans la dernière décennie du XVIIIe siècle. Acquis par l’Université de Liège grâce à la rente Wittert, le premier volume de ce Nouveau Testament qui en comptait deux à l’origine est inscrit le 10 juin 1933 au catalogue de la Bibliothèque principale, où il est depuis lors conservé sous la cote 5585A.
Aleuna Macarenko (Master 2 HAA)
Il Nuovo Testamento di Iesu Christo nostro Signore, latino & volgare, Lyon, Guillaume Rouillé, 1558, 16° (Voir sur DONum).
Autres éditions numérisées arborant encore des anciens ex-libris :
Les livres anciens et précieux sont, dans bien des cas, conservés dans des institutions nationales, des bibliothèques universitaires ou encore par des organismes publics. En revanche, il arrive également qu'ils soient la propriété de collectionneurs privés. Ces collections privées sont parfois l'œuvre d'une famille qui a construit, au fil du temps et souvent sur plusieurs générations, une bibliothèque impressionnante. Dans d'autres cas, elles sont constituées par des hommes seuls. C'est précisément ce que fit le baron Adrien Wittert, originaire d'une vieille famille hollandaise, qui légua après son décès son incroyable collection à l'État belge, à condition qu'elle enrichisse les fonds de l'Université de Liège et qu'elle reste visible pour le plus grand nombre. Cette collection comprend plus de 20.000 volumes dont de nombreux livres anciens mais aussi plus de 25.000 dessins, des gravures et même une cinquantaine de tableaux. Cette libéralité fut accompagnée d’une rente annuelle et perpétuelle pour conserver ce patrimoine et, à l’occasion, l’accroître.
De nombreux livres en italien ou en traduction française figurent parmi le legs Wittert. Citons cette édition de l’Historia delle guerre esterne de' romani d’Appien, traduite en italien par Alessandro Braccesi et Lodovico Dolce, et sortie des presses vénitiennes de Gabriel Giolito en 1559.
Corentin Donneaux (Master 1 Histoire)
Appien, Historia delle guerre esterne de' romani (trad. Alessandro Braccesi et Lodovico Dolce), Venise, Gabriele Giolito De Ferrari, 1559, 12° (Voir sur DONum).
Autres ouvrages numérisés faisant partie du legs Wittert :
Exposition virtuelle réalisée par les étudiants de Master 1 et 2 en Histoire et Histoire de l'Art (HAA) de l'Université de Liège, dans le cadre du cours d’Histoire du livre à la Renaissance,
sous la direction de Renaud Adam.
Numérisation des ouvrages : cellule de numérisation ULg Library
Conception des pages : Stéphanie Simon (ULg Library)
Année académique 2015-2016.